Lorsque nous débarquons en ce mercredi du mois de novembre, ce n'est pas un seul exploitant qui nous accueille, mais trois. L'intitulé de cette rubrique n'a jamais aussi bien porté son nom ‘C'est qui le patron ?’ En l'occurrence, c'est un trio d'associés qui a repris l'an passé cet ex-magasin intégré de Delhaize. Mais si Jean-Louis Van Houwe et Corentin Dubois ont fait l'effort de venir nous saluer, c'est aussitôt pour insister sur un point : celui qui mérite pleinement de s'exprimer sur la belle aventure que représente la reprise de ce magasin, c'est leur ami Nicolas Dardenne, qui est la cheville ouvrière du projet, et l'exploitant au quotidien. Jean-Louis et Corentin se consacrent pour leur part à la gestion de Monizze, la société belge bien connue pour avoir dès le début pris la voie de digitaliser les titres-repas, éco-chèques et chèques-cadeaux.

Changement de carrière

Comment Nicolas Dardenne le patron en est-il arrivé à diriger ce supermarché ? “Je suis un fils d'agriculteur maraîcher, à Incourt, pas loin de Jodoigne. Autant dire que le frais, le beau produit alimentaire, ça m'a toujours intéressé. Et puis à 18 ans, j'ai mis le cap sur les Etats-Unis, où j'ai contracté le virus de l'entrepreneuriat. Un rêve que j'ai concrétisé en Belgique, en créant ma propre boîte, dans le domaine des ressources humaines. C'est d'ailleurs dans ce contexte que j'ai rencontré Jean-Louis, qui avait investi dans mon entreprise. Il y a deux ans, j'ai eu l'occasion de céder mon affaire, ce qui m'a permis de disposer de cash au bon moment : le timing était parfait, puisque Delhaize venait de décider de proposer tout son parc intégré à des partenaires affiliés.” Pourquoi un supermarché, pourquoi Delhaize, et pourquoi à ce moment ? “Précisément en raison de mon background familial et de mon expérience d'entrepreneur. Ces produits agricoles que ma famille produisait, j'allais désormais les mettre en valeur et les vendre, en touchant un peu à tous les aspects du métier. On touche au marketing, à la logistique, à la gestion du personnel… C'est un métier finalement bien plus varié que celui que j'ai pratiqué jusqu'ici, et c'est vraiment passionnant. Et c'est ce qui explique qu'après en avoir parlé à mon épouse, j'ai introduit un dossier pour acheter un magasin. Avec Jean-Louis et Corentin, nous avions étudié trois dossiers. Et c'est celui de Wezembeek qui a abouti.”

Un gros potentiel commercial

Ce magasin de Wezembeek-Oppem était très convoité : face à ces néophytes de la distribution, il y avait de nombreux candidats, et du beau monde, y compris parmi les affiliés Delhaize existants. Et cet intérêt se comprend : dans cette commune à facilités de la périphérie sud-est bruxelloise, on trouve une clientèle aux revenus confortables, exigeante sur la qualité et le service. A condition que l’une et l’autre soient au rendez-vous, elle n’hésite pas à se faire plaisir. C’est donc un magasin qui tourne bien. Son seul petit point noir : un parking un peu trop limité pour exploiter pleinement l'énorme potentiel commercial local. Ce que Nicolas confirme, tout en se félicitant d'atteindre d'excellentes performances. Le meilleur indice ? L'énorme travail de réassort nécessaire le lundi, au lendemain d'un week-end où la clientèle est venue en masse vider les rayons. Pour faire tourner ce point de vente, Nicolas s'appuie sur une équipe de 60 personnes. Et il a également décidé de mettre en place des équipes travaillant avant l'ouverture du samedi matin pour que le magasin soit impeccable et fin prêt pour accueillir les clients, sans gêner ceux-ci dans les rayons.

Parlons-en, du personnel. “J’ai vraiment une top équipe, je suis super content”, nous dit Nicolas. “Tout le monde me pose sans arrêt la question de savoir si mes collaborateurs vivent bien ce passage de magasin intégré à magasin affilié qui a fait couler beaucoup d'encre. La seule réponse que je peux leur offrir est de la poser aux intéressés. Personnellement, j'ai l'impression qu'ils sont contents. Ils ont conservé leurs conditions, et désormais, ils ont un patron qu'ils connaissent. S'ils ont un problème, ils viennent dans mon bureau, on en discute et c'est réglé. Je suis accessible et ouvert, à leur écoute. Par exemple, ce matin je leur ai fourni un tout nouveau pull plus chaud, parce que c'était une demande de leur part.”

Qu'est-ce qui a changé dans le magasin ?

Comment Nicolas a-t-il mis sa touche personnelle dans ce Delhaize ? “Quand on a repris le magasin, notre objectif était de le rendre plus chaleureux, et nous avons investi dans un relooking prévoyant davantage de touches de noir, de brique, de bois pour réchauffer l'ambiance et lui donner un aspect plus premium, et pour qu'un client se sente comme chez lui en passant la porte du magasin. Une des choses que nous avons modifiées, c'est l'orientation des tables au rayon fruits et légumes. Elles étaient alignées de façon perpendiculaire au trajet du client, nous les avons placées davantage de biais pour fluidifier son parcours.”

Mais Nicolas ne s'est pas cantonné à des changements d’aspect. C'est aussi dans l'offre produit qu'il a voulu apposer sa marque. “En tant que fils d'agriculteurs, j'ai ramené des produits des producteurs locaux, notamment les pommes et les poires. Pour moi c'est important d'aller chercher les produits de qualité.” Qu'il n'a parfois pas eu de mal à trouver : “Par exemple, ici c'est mon parrain, et mon cousin”, dit-il en montrant une photo illustrant les producteurs des fruits vendus en rayon.

Mais ce qui est peut-être le changement le plus notable, c'est le travail mené sur les ateliers en poissonnerie, boucherie, boulangerie. “On a voulu créer et souligner notre propre identité. Ce qu'on trouve ici est bien le poisson que nous livre Delhaize, mais la clientèle comprend qu'il est préparé dans l'atelier.” Toute une nouvelle signalétique a été crée pour revendiquer ce savoir-faire local : ‘Den Visser – Atelier’, ‘Den Slager – Atelier’, ‘Den Rotisserie - Atelier’, ‘Den Bakker - Atelier’. Au passage, il s'agit parfois d'un effort plus important qu'un simple rebranding, même si celui-ci est d'autant plus spectaculaire qu'il apparaît aussi sur une étiquette signant les packagings de tous les produits sortis des ateliers. Premier exemple : la boulangerie. “On a investi dans en machines et dans une chambre de pousse. Auparavant, c'était du précuit surgelé, et honnêtement, le gain de qualité est tel que ça vaut la peine d'investir. Ça permet d'aller chercher des clients qui s'aperçoivent que la qualité est tout aussi bonne que dans une véritable boulangerie.”

L'autre grande nouveauté de l'offre à Wezembeek, c'est ‘Den Chef - Atelier’, qui surfe sur cette grande tendance du marché, le ‘fait maison’. “On a engagé un chef cuisinier, ce qui nous permet de produire et proposer nos propres plats préparés. Les clients sont heureux de trouver des produits très qualitatifs, avec des portions bien plus généreuses que les plats industriels, et cette offre nous permet de dégager de la marge : Tout le monde est content !”

Signé Dierendonck !

Parmi les investissements voulus par Nicolas et ses associés, le choix d'un équipement de mise sous vide, vite rentabilisé en boucherie. “Ça nous permet d'augmenter la DLC du produit. Elle est normalement de 3 jours, on arrive ici jusqu'à 8 jours. Ça nous offre trois jours de plus dans la vente et nous permet de diminuer de 34 % notre risque de pertes par rapport à un magasin qui ne le fait pas.”

Autre changement : la rôtisserie, où le choix a été fait de monter en qualité. “Bien sûr, il faut répondre à la clientèle qui se demande pourquoi vous passez pour un poulet rôti de 7,99 à 10,49 euros le kilo, mais ce n'est vraiment pas la même chose : la qualité du poulet lui-même, mais aussi sa cuisson, où on prélève sa graisse pour l'arroser et le dorer… En le goûtant, c'est le jour et la nuit !”

Et puis un nom apparaît en grand sur la tranche du comptoir frigorifique, celui de Hendrik Dierendonck, le boucher star de la Flandre. Qui est désormais aussi bien connu de la clientèle de Bruxelles et du Brabant wallon, où il vient d’ouvrir une boucherie en franchise à Waterloo. “C’est une marque qui est connue et qui attire qui des clients. La qualité de cette viande est magique, les clients sont ravis. J'ai conclu un contrat d'exclusivité pour ma zone de chalandise”, commente Nicolas, qui est en effet un des 10 affiliés Delhaize en Belgique à proposer dans son assortiment la viande de Dierendonck.

Quels projets ?

Tout est-il déjà définitivement figé dans ce magasin de Wezembeek ? Non, à l’évidence. Nicolas Dardenne est conscient qu’il lui reste encore des départements où il y a moyen de faire mieux. “C’est le cas du vin, où je m’attendais à faire une meilleure croissance”, reconnaît Nicolas, tout en soulignant qu’il s’agit d’avancer étape après étape. Dans le même ordre d’idée, il a choisi de payer le dédit pour stopper la collaboration avec le comptoir d’épicerie fine Mr. Georges, pour lancer fin février son propre concept en la matière.

Côté équipement, un investissement a déjà été fait sur un système de caméras de surveillance, doté d’une couche d’'intelligence artificielle qui enrichit les fonctionnalités. Les prochaines étapes ? Probablement du côté des frigos et du four de cuisson en boulangerie, deux postes qui ont réservé quelques mauvaises surprises en étant sujets à des pannes à répétition. Une première mesure a été prise en changeant de prestataire technique. Côté self-scanning, l’avis est partagé. Ce type de checkout est très prisé de la clientèle locale : “60 % de notre chiffre d’affaires transite par ce type de caisses autonomes. Il y a débat. D’un côté, je suis conscient qu’il y a un risque de fraude ou d’erreurs que les contrôles ne permettent pas de tous identifier. Sur un rayon comme le vin, ça peut chiffrer. Mais mon associé Jean-Louis est clairement en faveur de cette solution malgré tout. Ma solution idéale serait certainement celle que pratique Decathlon, où tout le contenu du panier est automatiquement aux caisses. On y aboutira peut-être un jour, si le coût des tags RFID baisse significativement ou que la technologie le permet.”

Mais il est bel et bien un type d’équipement que Nicolas rêve d’implémenter à plus court terme : “Ce sont des systèmes de rayonnages placés sur un axe pivotant. Ce qui permet de les ouvrir comme une armoire, et de les remplir par l’arrière. Le résultat, c’est que les nouveaux produits introduits poussent automatiquement vers l’avant ceux qui étaient déjà présents. Non seulement obtient-on alors un linéaire en permanence impeccable, avec des facings complets, mais le principe FIFO (First In, First Out, ndlr) est toujours respecté. L’investissement est lourd : il faut compter environ 2.700 euros le mètre linéaire, quand un rayonnage classique ne coûte que 250 euros. Mais le gain de productivité est considérable. Et sur des produits frais, on limite énormément la casse. J’ai l’intention de commencer à installer les premiers meubles de ce type dès l’an prochain.”

Le plein d’initiatives pour animer le magasin

Nous ne l’avons pas encore évoqué, mais Nicolas Dardenne n’est probablement pas tout à fait un inconnu pour vous, ni pour la plupart des Belges. Car s’il y a Monsieur Dardenne, le patron de supermarché, il y a aussi Nicolas, probablement le plus célèbre des supporters des Diables Rouges, qui encourage notre équipe nationale de football dans son iconique déguisement d’Obelgix ! Bien évidemment, les deux identités coïncident en magasin sous forme d’animations originales, chaque fois qu’il y a lieu de faire vibrer la fibre patriotique. “J’ai effectivement accueilli les clients avec ma tenue d’Obelgix lors du dernier championnat d’Europe des nations. Un événement pour lequel nous avions aussi produit pour l’occasion notre propre bière, la ‘La Potion du Belge’”. Elle était présentée en grandes quantités lors de l’événement, entourée par tous les nombreux gadgets destinés aux supporters. Mais que faire quand la Belgique se fait éliminer ? La bière ne prend-elle pas un goût amer ? “On s’adapte”, répond Nicolas Dardenne ! “J’ai directement demandé au brasseur de me changer l’étiquette et de créer une bière locale. On a pris pour gimmick  le code postal de Wezembeek-Oppem et c’est comme ça qu’est née la ‘1970 Wezembeer’, qui cartonne localement.”

Les animations locales ne se limitent pas au football. “Nous avons eu le plaisir, pour les Jeux Olympiques, d’accueillir le gardien de notre équipe nationale de hockey, Vincent Vanasch, qui s’est prêté à des séances photos.” Et le magasin a été sacré pour la ‘Best Local Initiative’ de Belgique par Delhaize, pour un concept particulièrement sympathique : à l’occasion de la fête de Pâques, les équipes avaient organisé une grande chasse aux oeufs dans le magasin. Près de 300 enfants attendaient à l’entrée, prêts à chercher les milliers de friandises placées en rayon.

Vers de nouveaux défis ?

Autant dire que le bilan que pose Nicolas Dardenne sur sa nouvelle vie professionnelle est positif. “Ça fonctionne. La collaboration avec Delhaize est bonne. Ce matin, nous avons eu la surprise de recevoir la visite des actionnaires du groupe. Quant à moi personnellement, le changement de métier fait que je travaille 7 jours sur 7, mais dans une activité que j’'aime beaucoup, parce qu’elle est variée et qu’il ya toujours de la place pour de nouvelles idées ou nouveaux projets.” Y compris celui d’acquérir d’autres magasins ? “Il est clair que c’est mon ambition : ne pas me contenter d’un supermarché, mais en avoir un deuxième, puis un troisième, puis un quatrième… On sera à l'affût des opportunités qui qui se présentent. La meilleure façon d’y parvenir est de faire du bon boulot ici.”

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